Qu’il prenne la forme d’un mot, soit abstrait ou s’empare d’un symbole, le logo exalte, par définition, tout créateur de marque ou d’entreprise. L’apostrophe de Nike, la pomme d’Apple, l’oiseau de Twitter, les «C» entrecroisés de Chanel sont autant de signes, lettres, symboles ancrés dans les esprits et associés d’instinct à une marque. La puissance du logo est donc indiscutable. Rencontre avec notre studio graphique.

On connaît le thème de la représentation avec le fameux «dessine-moi un mouton» de Saint-Exupéry. Dessine-moi un logo pourrait-il s’en inspirer?

Le logo est un outil de poids pour une marque, nous sommes conscients de son importance. Certes un «beau» logo, si tant est que cela veuille dire quelque chose au regard des critères très subjectifs que cela soulève, n’est pas difficile à dessiner; cependant il ne peut être pensé de manière isolée. Il se doit de fonctionner en réseau avec l’activité de la marque, son nom, son positionnement, son secteur économique, sa communication et ses éventuelles autres entités. Le graphiste est là pour unir le fond et la forme.

Connaître l’univers dans lequel un logo va évoluer, cadrer le périmètre visuel où vont germer les idées, voilà notre point de départ. Parfois, un «j’ai vu ça ailleurs, je voudrais bien la même chose» fait partie du brief… Alors pourquoi pas? À condition que le style repéré soit pertinent et serve la marque. Nous recherchons avant tout la justesse et celle-ci n’exige pas forcément l’originalité. Un logo «conventionnel» peut être bien plus impactant et en adéquation avec l’ADN de la marque qu’un logo disruptif, fruit d’une créativité exaltée.

En général, le processus est long et itératif : se nourrir en explorant les univers, défricher, faire une recherche de construction, commencer par travailler en noir et blanc. Un logo est une question de formes, il s’agit de remplir l’espace entre des pleins et des vides, de soigner les alignements et les cassures, de trouver l’équilibre parfait. Nous avançons à petits pas. Une certitude, le logo qui « jaillit » sur l’écran relève plutôt du mythe.

Pour satisfaire le client qui demande toujours à être surpris, nous tentons plusieurs propositions avec des graduations dans la prise de risque créative.

« Le logo est un outil de poids pour une marque »

Le logo est-il aussi victime des tendances?

Dès le départ, il s’impose à l’esprit que le logo doit voyager dans le temps. Nous avançons sur un fil, tendu entre l’idéal de respecter le meilleur des codes de notre temps et une approche graphique répondant uniquement à la mode et aux codes du moment. Ne pas céder aux sirènes des tendances!

En réalité, il y a deux «temps»: les tendances éphémères, celles qui vont durer peu, voire très peu de temps, et il y a le contemporain. Dans ce dernier cas, on est dans l’époque au sens large, dans le mouvement sur le long terme et un fonctionnement dans la durée. Savoir faire la distinction est du ressort de nos métiers créatifs. Cela vient également avec l’expérience. En tant que graphistes, on veut toujours sortir du cadre, marquer les esprits, mais l’essentiel est d’être dans une tendance qui dure.

Actuellement, les logos sont de plus en plus minimalistes et typographiques, les symboles de plus en plus simples et épurés. Aujourd’hui, un logo peut se résumer à une typographie bien rythmée avec un petit élément distinctif. Pour nous, la tâche se complexifie. En effet, pour tendre vers cette simplicité, nous devons mettre le doigt sur une forme d’expression essentielle, sans facettes multiples, sans couches d’interprétation. Sachant que nous communiquons tout autant par ce que nous ne disons pas, cette retenue doit parler tout aussi efficacement de la marque. Nous devons la façonner.

Cette simplification est due aussi aux déclinaisons des besoins digitaux d’aujourd’hui qui nous obligent à penser le logo dans plusieurs dimensions: ce sont des logos «responsive» et animés qui doivent s’adapter à différentes tailles d’écrans.

Comment le digital redistribue-t-il la donne créative?

Désormais, dans la conception sont pris en considération l’utilisateur et ses points de contact avec le logo. De moins en moins imprimé, le logo est décliné sur des écrans de tailles différentes et le graphiste doit alors le penser en avatar carré de quelques pixels, en icône d’application. D’où le fait que les logos deviennent de plus en plus typographiques avec des symboles simples. La marque va finir par être réduite à sa plus pure expression: un carré de 100 par 100 pixels.

Avant l’explosion du digital, le logo pouvait avoir différentes versions correspondant à autant de contraintes techniques d’impression. Aujourd’hui ce sont de véritables variantes conceptuelles nées des problématiques du digital. Ainsi, la conception du logo complet se fait de concert avec sa version réduite. Par exemple une seule lettre avec un jeu de symboles puissant. Pour garder une lisibilité, mieux vaut effectuer cette réflexion en amont!

À titre d’exemple, certaines marques dont l’ADN de base est pensé pour le digital telles Uber ou Dropbox ont tout de suite intégré cet enjeu dans le logo. Le symbole est si puissant que c’est presque du no-name. La marque se résume à son symbole ou à une lettre. D’ailleurs, un test utilisateurs révélerait certainement que la version réduite est probablement plus souvent identifiée en comparaison avec le logo complet. Par ailleurs, on se dirige davantage vers une communication d’expérience qui passe aussi par tous les attributs de la marque. Le logo n’est pas «sacré», il appartient à un ensemble plus large. Est-ce qu’un jour le logo s’adaptera à l’utilisateur: ce serait de l’ultra-personnalisation qui risquerait d’affaiblir l’image et le message que la marque souhaite relayer.

L’intelligence artificielle: alliée ou ennemie du graphiste?

L’être humain n’est pas capable de créer mais il sait recomposer les choses. La création est héritée d’une expérience, d’un déjà-vu. L’aspect «contemporain» résulte de ce qui précède. Nous sommes tous les descendants de ce qui s’est fait avant par un amalgame d’informations, de visuels, d’odeurs, de sensations que l’on réorganise pour créer une nouvelle entité homogène. C’est l’aspect déterministe de la création.

L’intelligence artificielle va forcément redistribuer les cartes par rapport à tout ce que l’on a appris. Le bouleversement sera magistral lorsque la machine pourra non plus seulement exécuter, mélanger des couleurs, des typos, des symboles, mais littéralement créer en adéquation avec un positionnement stratégique. Les premiers logos, fruits de l’intelligence artificielle, seront intéressants à découvrir. Pour quand? Ce sera certainement une étape révélatrice d’enjeux sociétaux bien plus larges…

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