Opinions pour Bilan
Dans le domaine de la durabilité, le paysage économique mondial est de plus en plus encadré par des règlementations extra-financières. Deux approches se développent actuellement : les normes ESRS qui émanent de la CSRD (Corporate Sustainable Reporting Directive) pour l’Union européenne, et les normes IFRS issues de l’ISSB (International Sustainability Standards Board) et plutôt poussées par les pays anglo-saxons.
« Il est intéressant de regarder les enjeux et les opportunités qui sous-tendent ce qui aujourd’hui peut ressembler à une contrainte. »
En vue d’être également en mesure de s’aligner sur les exigences de ses principaux partenaires économiques, la Suisse ne reste pas inactive face à ces évolutions réglementaires. Le Conseil fédéral a d’ailleurs ouvert cet été une procédure de consultation sur de nouvelles dispositions de reporting dans le but d’harmoniser ses règlementations en matière de durabilité avec les normes européennes.
Il est en effet intéressant de regarder les enjeux et les opportunités qui sous-tendent ce qui aujourd’hui peut ressembler à une contrainte. Voici quelques lignes directrices :
1. Identifier et gérer les enjeux et risques ESG de votre entreprise
Cette étape est incontournable pour toute entreprise responsable qui initie un reporting extra-financier. Elle lui permet d’avoir une vue d’ensemble de ses enjeux et de son secteur d’activité en regard des évolutions en cours dans le monde. En identifiant ses risques et ses opportunités, elle peut ainsi anticiper et minimiser les risques ESG (environnement, social, gouvernance) susceptibles de l’affecter, qu’ils soient règlementaires, opérationnels ou réputationnels.
Conseil : À cette étape, je vous recommande de mettre en place une veille sectorielle et concurrentielle. Puis de dresser une liste de vos enjeux et des risques globaux que vous encourez sur la base du référentiel ISO 26000 et des ODD (Objectifs de développement durable de l’ONU) qui constituent les repères les plus transverses en matière de développement durable. Les entreprises qui prévoient d’être soumises à la CSRD peuvent déjà identifier leurs enjeux sur la base des ESRS.
2. Comprendre les attentes de vos parties prenantes et installer un dialogue pour réaliser une analyse de matérialité
Qu’il s’agisse de vos actionnaires, de vos clients ou consommateurs, de vos employés, ou même des citoyens riverains de vos activités, consulter vos parties prenantes est le meilleur moyen de bien comprendre leurs enjeux. Par cette démarche active et transparente, vous instaurerez avec ces parties une relation de confiance, gage de pérennité de vos activités. En étant à leur écoute, vous comprendrez mieux leurs besoins et serez en mesure de construire une stratégie de durabilité adaptée.
Conseil : Commencez par cartographier vos parties prenantes et par identifier celles que vous devez considérer en priorité. Une fois ce travail réalisé, vous pourrez définir le mode de dialogue à établir en vue de les interroger sur les enjeux identifiés et leurs attentes. En parallèle, évaluez l’importance stratégique de chaque enjeu pour votre entreprise. Pour cela, vous pouvez prendre en compte l’impact de l’enjeu sur des aspects tels que la performance financière de l’entreprise, l’efficacité opérationnelle, la réputation de la marque ou encore la qualité des produits/services. Établissez ensuite une matrice de matérialité, au sein de laquelle vous placerez les principaux enjeux selon l’importance (modérée à élevée) accordée par les parties prenantes, sur un axe, et celle accordée par l’entreprise, sur l’autre axe. Cela vous permettra d’identifier les enjeux que vous aurez à adresser prioritairement.
3. Améliorer votre performance avec des indicateurs pertinents
Pour ce faire, il est essentiel de préciser votre point de départ à l’aide d’indicateurs environnementaux et d’utilisation des ressources (émissions de carbone, consommations d’eau, d’énergie, etc.), d’indicateurs sociaux (engagement des collaborateurs, diversité et inclusion, bien-être au travail, etc.) et sociétaux (satisfaction des clients, impact sur les communautés, etc.). Vous aurez ensuite à les suivre année après année pour mesurer l’évolution de vos pratiques, donner à vos équipes des challenges stimulants et leur permettre d’apprécier leurs progrès. Car n’oublions pas que l’engagement et la performance extra-financière sont des critères recherchés à la fois par les candidats (vos futurs collaborateurs) et par vos actionnaires !
Conseil : Sur la base des enjeux prioritaires définis, je vous recommande d’identifier les indicateurs les plus pertinents à suivre afin d’évaluer votre impact et vos leviers d’action. Il y a ceux que vous publierez dans votre rapport de durabilité et ceux que vous réserverez à des besoins de reporting interne. N’en faites pas trop et limitez-vous à des indicateurs que vous pourrez mesurer à l’aide d’un outil de suivi efficace.
4. Vous aligner avec les bonnes pratiques pour être reconnu comme un acteur transparent et crédible
Un reporting bien construit et détaillé est un gage de crédibilité de l’entreprise vis-à-vis de ses principales parties prenantes et un avantage concurrentiel. Grâce à une excellente connaissance de ce qui se fait en matière de durabilité au sein de votre entreprise et de son écosystème, grâce à une maîtrise de vos enjeux et à une mesure de vos actions, vous éviterez de « prendre la partie pour le tout ». Il est en effet essentiel d’éviter le greenwashing, soit de prétendre avoir une démarche plus durable qu’elle ne l’est en réalité.
Conseil : Entourez-vous de cabinets spécialisés dans le domaine de la durabilité et de la communication responsable. Ils sauront évaluer l’impact de vos enjeux. Car bien que les labels et autres certifications telles que B Corp, Eco Entreprise ou Ecovadis permettent véritablement d’attirer des talents, il est primordial de définir une stratégie qui puisse être communiquée de manière transparente et crédible vers l’extérieur pour améliorer vos pratiques internes et briguer des appels d’offres publics, entre autres. Une bonne stratégie vous permettra de structurer votre démarche, de vous concentrer sur ce qui aura le plus d’impact et constituera également la colonne vertébrale de votre rapport de durabilité.
5. Gagner en efficacité
Certes. Peut-être envisagiez-vous le développement durable comme une contrainte supplémentaire ? Sachez qu’en réalité, cette façon de prendre du recul régulièrement sur vos activités vous amènera à penser votre organisation de façon plus efficace. Elle vous permettra de découvrir de nouvelles opportunités, de créer de l’innovation, d’optimiser vos processus et même de réaliser des gains financiers.
Conseil : Forts du soutien de votre Direction, mettez en place une gouvernance interne en commençant par des comités de réflexion pour faire avancer le sujet et communiquer sur les étapes en cours. Lorsque votre ambition sera définie et que votre stratégie aura muri, il sera temps de mettre en place un comité de pilotage et des référents qui constitueront les courroies de transmission entre les décisions centrales et les actions de terrain.
6. Préparer le modèle d’affaires de votre entreprise pour demain
Le monde change et il ne vous aura pas échappé que, pour de multiples raisons, grâce à des innovations ou en raison de contraintes, certaines entreprises voient leurs modèles d’affaires évoluer avec le temps. C’est le cas de l’industrie automobile qui évolue actuellement de la technologie du moteur thermique vers le moteur électrique, mais l’industrie de l’image et du son est déjà entièrement passée au numérique depuis les années 90. Ainsi, s’intéresser à l’impact de son activité et identifier ses risques est une façon d’anticiper les megatrends de demain et peut permettre à votre entreprise de prendre de l’avance ou d’investir dans la recherche et l’innovation pour ne pas se faire dépasser dans le futur.
Conseil : Vous pouvez intégrer dans votre Conseil d’administration ou dans votre Conseil consultatif un membre expérimenté dans le domaine de la durabilité, rejoindre des cercles de réflexion comme le C3D en France (Collège des directeurs du développement durable) et la CEC Suisse (Convention des entreprises pour le climat https://cec-swiss.org/) ou encore allouer des moyens pour intégrer la durabilité dans les plans de R&D de votre entreprise.
À bien y réfléchir, si ces sujets demandent aux entreprises du temps, des moyens financiers et humains ainsi que des compétences (internes et externes), vous observerez – et vous pouvez même en faire le pari – que celles qui s’y engagent pleinement prennent et prendront une longueur d’avance sur les autres. Parce que notre planète et notre société ont besoin de « poissons pilotes » pour avancer dans la nécessaire transition vers un monde plus durable et plus responsable.
Rendez-vous dans une prochaine chronique pour détailler ces différentes étapes et rédiger un rapport de durabilité efficace et impactant !
Tribune de Laurence De Cecco pour Bilan, publiée le 17 octobre 2024.
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