En août 2021 a paru le sixième rapport du GIEC qui implique sans la moindre équivoque l’activité humaine dans le réchauffement climatique. En novembre, des milliers de manifestants ont défilé dans les rues de Glasgow lors de la COP26, exhortant les gouvernements à faire preuve d’ambition. Le temps passe et il ne semble plus dédié à l’éveil des consciences, mais bien au passage à l’action.

« Il est temps de dire assez. Assez de brutaliser la biodiversité. Assez de nous tuer nous-mêmes avec le carbone. Assez de traiter la nature comme des toilettes. Assez de brûler et forer et extraire toujours plus profond. Nous creusons nos propres tombes ».

Déclaration d’Antonio Guterres, Secrétaire Général de l’ONU devant une centaines de dirigeants de tous les continents à l’ouverture de la COP26 à Glasgow.

Pilier incontournable pour s’engager dans cette nécessaire transition, nous nous sommes interrogés pour savoir quelle place avait la RSE dans la gouvernance des entreprises en 2021.

La gouvernance : pilier numéro 1 de la RSE

Conseil d’Administration (CA) et instances de l’exécutif (Comité exécutif /Comité de direction) ont dans la gouvernance des entreprises des rôles complémentaires, mais aussi des logiques temporelles différentes. Le CA a la charge d’une vision long-terme de l’activité : par l’anticipation et l’analyse des risques à long-terme et par le suivi dans le temps d’une trajectoire bornée par des indicateurs. Le Comex, quant à lui, a la responsabilité à court et moyen terme du déploiement opérationnel de la stratégie.

Si ce rappel est important, c’est parce que la RSE et le développement durable ne sont pas des sujets qui peuvent se contenter de court terme et d’actions additionnées dans les différentes directions de l’entreprise. L’analyse et les leviers d’action de la réduction de l’impact carbone des activités, l’évolution de la façon de tisser des liens avec les différentes parties-prenantes de l’entreprise, le choix des partenaires dans la supply chain nécessitent une vision transverse, une hauteur de vue. Au regard des objectifs de décarbonation que se sont fixés les états signataires de l’accord de Paris sur la limitation du réchauffement climatique, il semble incontournable aujourd’hui que la RSE entre par la grande porte dans les CA, et même, devienne centrale dans la définition de toute stratégie d’entreprise qui cherche à assurer sa pérennité.

« On voit qu’un basculement est en train de s’opérer parce il y a de plus en plus de disruption RSE, comme on l’avait observé il y a quelques années avec le digital. La RSE engage de plus en plus d’enjeux stratégiques, elle pose même, dans certains cas, la question de la survie de l’entreprise. »

Intervention de Sophie Flak, directrice RSE et digital chez Eurazeo, société d’investissement, au Salon Produrable en septembre 2020.1

2021 : un changement de paradigme ?

Il semble donc que la vision de l’école des fondamentalistes, représentée par Milton Friedman dans les années 70, qui énonce que la seule vocation d’une entreprise soit de réaliser des bénéfices pour ses actionnaires ait évolué pour s’ouvrir à de plus nombreux critères.
Ainsi, en 2018, dans une enquête réalisée auprès de 640 entreprises belges 2  73% des plus grandes d’entre elles et 66% des PME déclaraient que « la RSE est essentielle pour subsister dans un environnement en évolution constante ».  Tout récemment, l’étude conjointe du UN Global Compact et d’Accenture sur la gouvernance à l’heure de l’urgence climatique « Climate leadership in the eleventh hour » réalisée auprès de plus 1200 CEO interrogés dans 113 pays, rapporte que l’analyse d’impact accélère pour les CEO le changement de leur business model :
> 81% d’entre eux ont déjà développé des produits et services durables
> 74% d’entre eux ont même déployé des modèles économiques innovants et circulaires.

Signe que la RSE est en train d’entrer au cœur de la stratégie des grandes entreprises, « Le Panorama de la Gouvernance 2021 » EY et Labrador 3 – sur la base des données publiques et d’études sur les entreprises du CAC40 et du SBF 120 en France – relève plusieurs indicateurs en forte progression cette dernière année. Cette tendance déjà frémissante en 2020, a vraisemblablement été accélérée par la crise du Covid mais également par la loi PACTE qui vise à repenser la place des entreprises dans la société française.

  • 63% des Conseils disposent d’au moins un administrateur compétent sur les thématiques liées au développement durable en 2021 contre 13% en 2020, les questions RSE y sont donc beaucoup plus représentées.
    Cette évolution a été rendue possible par l’entrée dans les conseils de nouvelles compétences : soit par l’intégration de nouveaux collaborateurs, soit par la formation.
  • 43% des entreprises du SBF120 ont mis en place un système de rémunération variable basé sur des objectifs RSE (accidentologie, critères environnementaux/émissions carbone, diversité…)

Ces chiffres démontrent que les gouvernances d’entreprises sont aujourd’hui attentives aux attentes citoyennes sur les enjeux climatiques, de diversité, de droits humains, mais elles répondent également aux accélérations règlementaires et aux impulsions de leurs parties prenantes. Avec la Taxonomie entrée partiellement en vigueur en Europe en 2021, mais aussi avec la Corporate Sustainable Reporting Directive (CSRD) lancée par l’Europe et qui devrait prendre effet en 2023, « la durabilité n’est plus à la marge, elle est centrale au cœur de la politique de l’Union européenne » a indiqué la Commissaire européenne Mairead McGuinness lors d’une conférence à ce sujet. En effet, avec ces nouvelles règlementations, poussées par les objectifs climats fixés par le European Green Deal, la performance extra-financière sera bientôt observée au même titre que la performance financière.
Petit à petit, l’Union Européenne avance, avec notamment la Sustainable Corporate Gouvernance Initiative (SCG – dont le vote prévu à l’automne 2021 a été retardé). La possibilité pour les entreprises de privilégier la création de valeur durable à long terme aux bénéfices à court-terme prend forme, ce qui représente un changement de paradigme et de vision économique inédits.

Quels sont les freins à ces avancées au sein des conseils et comités ?

Le risque pour les entreprises qui manqueraient le virage ? Passer à côté de nouvelles opportunités business auxquelles de jeunes pousses plus agiles ne tarderont pas à répondre et même, manquer d’attractivité auprès de talents en tant que marque employeur. Car les plus jeunes générations sont déjà averties de ces questions et sont en recherche de preuves d’action concrètes sur les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) de la part de leur employeur.
A ce propos, l’enquête Impact Index de ChooseMyCompany – entreprise certifiant les avis de salariés concernant la politique RSE – est révélatrice. Ce sont 7000 salariés qui ont été questionnés à ce propos : 58% d’entre eux affirment ainsi que la politique RSE d’une entreprise guide leur choix au moment de postuler un emploi. Marie-Doha Besancenot, directrice RSE d’Allianz – dans le top 15 des entreprises du panel – confirme : « C’est sûr que si nous ne faisons rien, nous serons discriminés par les candidats, et ce n’est pas que générationnel. ».5

Le risque économique lié au coût d’une compensation carbone d’émissions qui ne seraient pas maîtrisées n’est pas à négliger non plus. La tonne de carbone a dépassé en octobre 2021 les 65 euros, en raison notamment de l’envolée des cours du gaz.6

Aussi, l’enjeu actuel est bien de corréler croissance économique et décroissance carbone, ce qui implique pour les entreprises de trouver une voie pour produire de la valeur en réduisant leur impact. Ce changement systémique profond ne pourra vraisemblablement se faire sans un renouvellement fondamental des CA, avec une représentation plus mixte : plus de femmes, l’arrivée de membres plus jeunes et mieux formés sur ces enjeux – sans pour autant omettre un équilibre intergénérationnel – mais aussi à terme, comme l’impose la loi PACTE en France notamment, une plus grande représentation des salariés. La mixité est sans doute la clé de réussite des entreprises en pointe sur les sujets RSE.

« Les entreprises ont réalisé qu’écologie rime avec économie. Nous sommes tournés vers l’action, nous aimons les grands challenges. Ce défi de penser une nouvelle société est celui de notre génération. Mettons-nous au travail. »

Jean-Pascal Tricoire, PDG de Schneider Electric, entreprise classée numéro 1 au monde par Corporate Knights pour ses alignements sur les Objectifs de Développement Durables (ODD).7

Le défi à relever pour les entreprises et leur gouvernance est certes important, mais il est à la hauteur de l’enjeu climatique auquel nous sommes confrontés – aujourd’hui et demain – il est surtout une formidable opportunité de création de valeur collective, de sens commun au sein de l’entreprise et au-delà avec l’écosystème de ses parties-prenantes.

Partagez l'article sur: