« Face aux nombreux enjeux du développement durable et aux ramifications liées à chaque problématique, il faut forcément être capable d’une réflexion multidimensionnelle. »
Parlez-nous de votre parcours professionnel. Quelle est l’importance de la durabilité dans vos activités, depuis quand et pourquoi ?
Depuis le début de mon parcours professionnel, le développement humain (individuel et collectif) a été mon fil rouge. Un fil rouge présent même depuis l’adolescence, car j’ai toujours été un esprit libre, tourné vers l’humain. Une question me guide : comment accomplir notre plein potentiel ? On peut dire ainsi que le pilier de « l’écologie humaine » est présent dans mon parcours depuis toujours. En tant qu’individus, nous avons besoin en permanence d’évoluer, d’apprendre et de grandir pour nous accomplir. Au sein d’une organisation qui ne bouge pas, la frustration s’installe et les collaborateurs se désengagent, ou s’en vont. Et en société, si on n’accepte pas d’évoluer, cela donne lieu à des tensions de plus en plus fortes. Le développement humain est au cœur de ces problématiques.
Guidé par ces réflexions, j’ai fait des choix professionnels qui m’ont permis de m’épanouir dans trois domaines liés à ce fil rouge : les ressources humaines, le consulting et l’enseignement. Et depuis mes débuts, fidèle à mon besoin de liberté et d’autonomie, j’ai cherché à mélanger ces thèmes en ne travaillant jamais à 100 % dans un rôle unique. J’ai toujours appliqué à ma vie professionnelle une règle de base du développement humain : être co-auteur de son propre parcours.
Comment la durabilité se reflète-t-elle dans ce parcours ? Dans mes rôles dédiés aux ressources humaines, j’ai toujours agi en étant aussi attentif aux personnes en souffrance. Dans le consulting, j’accompagne des dirigeants qui veulent mettre l’humain au centre. Si les collaborateurs vont mal, l’entreprise va mal, tout simplement. Se réaliser, s’épanouir, contribuer à une activité qui a du sens, voilà ce qui compte pour bien des collaborateurs. J’ai rencontré de nombreux dirigeants sensibles à ce constat mais souvent inconfortables dans le fait de privilégier une vision long-terme qui ne satisfasse pas les attentes immédiates des actionnaires ou du public. J’ai créé le « Self Leadership», un programme pédagogique de développement professionnel, pour les y aider. Et enfin, l’enseignement et le coaching sont à mon sens des clés de voûte essentielles pour accompagner le changement sur le long terme. C’est aussi une passion pour moi. Dans l’Executive MBA que je dirige à l’Université de Genève, nous traitons les divers aspects de la responsabilité au sens large, de manière holistique.
En tant que spécialiste du développement humain, quelles sont à votre avis les qualités essentielles pour toute personne impliquée et active dans le domaine de la Responsabilité sociale des entreprises ?
Quatre adjectifs me viennent à l’esprit.
Holistique d’abord. Face aux nombreux enjeux du développement durable et aux ramifications liées à chaque problématique, il faut forcément être capable d’une réflexion multidimensionnelle. Quel que soit le problème abordé, une solution unique et globale n’existe pas.
Sur une note anecdotique, l’importance de cette vision holistique m’a frappé lors d’un voyage au Sénégal en 2007 avec mes enfants. Lors d’une excursion dans ces paysages sublimes, nous avons vu d’immenses dépotoirs de sacs en plastique usagés. Le constat fut frappant : nous exportons nos modes de consommation mais pas les capacités d’en traiter les déchets. Avec ce constat vint la prise de conscience que chaque problématique doit être considérée dans sa globalité.
Deux autres qualités s’imposent : le pragmatisme pour avancer en dépit des obstacles et ne pas s’arrêter à cette réflexion holistique. Et l’humilité d’accepter que tout succès obtenu ne nous appartient pas, on se doit de laisser d’autres s’en emparer pour encourager encore plus d’action. Bref, ne pas agir pour l’ego et la reconnaissance, l’objectif est autre.
Et enfin, bien sûr, la persévérance, car toute démarche de responsabilité sociale d’entreprise offre peu de récompenses immédiates. Il faut être capable de viser la pérennité et la création de valeur partagée sur le long-terme, et de tenir le cap.
Pensez-vous que les mentalités sont en train de changer parmi les dirigeants d’entreprise, notamment sur le rôle sociétal des entreprises ?
Je travaille avec beaucoup de dirigeants d’entreprise et je note que les mentalités évoluent, oui, et de deux manières différentes, selon les âges.
Sans vouloir généraliser, on peut noter que parmi de nombreux dirigeants qui ont entre 50 ans et 65 ans le sujet de la responsabilité sociale de l’entreprise prend de l’importance, sans être toutefois une urgence. Il s’agit d’une génération pour qui le bien-être et le succès personnel dépendent du succès économique. La maîtrise du métier ainsi que le succès économique de l’entreprise sont les priorités ; la question de la responsabilité sociétale vient ensuite.
Pour les dirigeants plus jeunes, chaque action est réfléchie selon les trois piliers du développement durable, et cela de façon naturelle. On n’est donc plus dans la charité écologique, on est dans la réflexion holistique. L’importance de l’objet moral de l’entreprise me semble pleinement intégrée, ce qui me pousse à croire que cette différence est une question d’éducation. Il s’agit véritablement d’une configuration mentale.
Mes constats sont forcément influencés par mes rencontres dans le cadre du Self leadership Lab. J’ai pu noter également une évolution dans les profils. Il y a 3 ans, nous accueillions 80 % de femmes. Aujourd’hui, c’est moitié-moitié avec des âges diversifiés. Les jeunes veulent donner du sens à leurs engagements et les plus anciens cherchent de nouvelles missions empruntes de responsabilité avant la retraite.
Avez-vous rencontré un ou une dirigeant.e d’entreprise qui vous inspire tout particulièrement ?
Sans nommer spécifiquement une personne, je peux vous parler d’un profil qui m’a inspiré : un dirigeant en charge du développement de zones industrielles. Ce qui m’a frappé chez lui, c’est le fait qu’il est fondamentalement « câblé » pour tenir compte des enjeux du développement durable dans toutes ses décisions. Il ne réfléchit que par ce prisme, alors que pour ses prédécesseurs, l’objectif majeur était de favoriser le développement économique de ces zones. Il parvient à convaincre que l’un ne va pas sans l’autre. Grâce à sa vision, grâce au fait de faire rayonner le sujet de la responsabilité et de l’imposer comme une évidence, il embarque d’autres personnes et ouvre des voies d’avenir.
Comment accompagner aujourd’hui le développement de nouveaux managers, dans un contexte entrepreneurial complexe, pour les aider à créer des voies porteuses d’équilibre personnel ET sociétal (en référence à votre rôle de directeur du Executive MBA de l’UNIGE) ?
La première année du MBA est dédiée aux modules classiques. Dès la 2ème année, nous nous focalisons sur les grandes problématiques des entreprises : responsabilité, digitalisation, partenariats public-privé, gestion des risques. Il s’agit aussi de réfléchir à de nouveaux modèles d’affaires qui privilégient l’innovation et s’appuient sur l’intelligence collective. La responsabilité sociétale est ainsi traitée de manière transversale dans les modules. Nous cherchons à faire passer un message fort. Personne ne peut agir seul, nous devons avancer de manière systémique et collective, en s’ouvrant à de nouvelles façons de penser. Nous accueillons 20 nationalités différentes dans la classe, et nous les confrontons à différentes réalités grâce à des intervenants de grandes entreprises, de PME, d’ONG et de startups. Nous encourageons une vision en « et » et non pas en « ou ».
« Nous cherchons à faire passer un message fort. Personne ne peut agir seul, nous devons avancer de manière systémique et collective, en s’ouvrant à de nouvelles façons de penser. »
Au sein des entreprises, la RSE est une démarche au long cours qui se construit progressivement avec l’aide de consultants ou de coachs. L’accompagnement au changement est un des défis majeurs pour ôter les freins et créer un élan positif. Dans le cadre de votre activité de consulting, avez-vous une expérience particulière à partager ou un éclairage à donner sur ce point ?
Un bon accompagnement au changement est en effet un des aspects majeurs du succès d’une démarche RSE. Il est essentiel que la démarche soit portée par un ou une dirigeant.e, qui peut bénéficier de l’accompagnement d’un coach. Mais cela ne suffit pas. Pour mettre sur pied un plan d’action RSE et assurer sa réalisation, il faut l’implication des équipes, un engagement à tous les niveaux. Un coach externe peut participer à mettre cela en place, mais ne pourra pas l’entretenir sur la durée. Je suis personnellement adepte d’une approche consistant à internaliser cet accompagnement, à travers l’identification de bons ambassadeurs qui vont polliniser et faire vivre la démarche RSE sur le long terme. Le coach comme le dirigeant qu’il accompagne doivent accepter de lâcher le contrôle en mobilisant ce réseau de « pollinisateurs » et en le laissant s’approprier les sujets.
Cette approche n’est pas évidente à accepter pour des dirigeants habitués à être à l’origine des nouvelles orientations comme des innovations. En pollinisant, le chef d’entreprise doit s’ouvrir à des pistes inattendues et accepter de ne pas tout contrôler. Le dirigeant d’hier a bâti sur la continuité d’avant-hier, avec l’idée de la croissance dans un monde qui n’évolue pas trop. Ce dirigeant-là a suivi les modèles d’affaire de son prédécesseur et pense que son successeur fera de même. Mais le monde a fondamentalement changé et tout entrepreneur est obligé d’accepter que le modèle du passé ne fonctionne plus. Cette rupture est difficile car elle questionne le rôle du dirigeant décideur. Le plus grand changement à accompagner se trouve certainement là.
« Le monde a fondamentalement changé et tout dirigeant est obligé d’accepter que le modèle du passé ne fonctionnera plus. »
Quel lien voyez-vous entre la sensibilisation, la formation et l’efficacité d’une démarche RSE au sein d’une entreprise ?
La sensibilisation et la formation sont évidemment nécessaires pour mobiliser autour d’une démarche RSE, mais ne représentent qu’un seul des 3 pieds du tabouret, si l’on peut dire. Grâce à une formation, la démarche RSE sera comprise et on peut espérer que la motivation sera présente, mais après ? Il faut les deux autres points d’appui : du projet pour tester et du coaching pour déployer. Suite à une formation, il faut donc impliquer rapidement les équipes dans des actions, et sachant qu’on ne peut faire les choses seul, des partenariats sont à explorer.
J’aimerais partager un autre point important, auquel on ne pense pas forcément. Celui qui enseigne ne doit pas être celui qui coache ou qui accompagne le projet. En effet, pour que les gens s’approprient un sujet et le mettent en œuvre, ils ne doivent pas être confrontés uniquement à « celui qui sait ». Les accompagnants ne doivent pas être là pour défendre le savoir, mais pour que les collaborateurs de l’entreprise se l’approprient.
Pensez-vous que le monde académique couvre suffisamment le sujet du développement durable ? Quelles sont vos observations, notamment sur les tendances dans ce domaine ?
Le sujet de la responsabilité sociale des entreprises est de plus en plus présent et la demande du côté des apprenants s’accentue nettement. Par exemple, en renforçant nos thèmes transversaux touchant à la responsabilité, nous avons constaté une forte augmentation du nombre de candidatures pour notre MBA cette année. Ce sont donc des thèmes porteurs.
Toutefois, je note deux aspects de l’approche académique qui mériteraient d’évoluer. D’abord, dans les cours d’économie et de business management, beaucoup de cas d’étude se penchent sur les multinationales. Or l’innovation se trouve d’abord au sein des PME ; j ’aimerais que plus de recherches se situent de ce côté-là. Par ailleurs, l’enseignement de ces thèmes est trop mono-facultaire. Le développement durable touche à tant de sujets; l’idéal serait de l’aborder dans toutes les matières et de favoriser des réflexions transversales. Il ne s’agit pas de créer un magma intégrant toutes les dimensions, mais de réfléchir régulièrement ensemble pour permettre aux étudiants d’avoir une vision large. Les solutions d’avenir ne viendront pas des scientifiques purs. La mixité est un mot clé pour l’enseignement de ces thèmes aujourd’hui.
« Le développement durable touche à tant de sujets; l’idéal serait de l’aborder dans toutes les matières et de favoriser des réflexions communes. La mixité est un mot clé pour l’enseignement de ces thèmes aujourd’hui. »
Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre l’Advisory Board de blossom ? Comment aimeriez-vous contribuer ?
Lorsque j’ai échangé avec Laurence De Cecco pour rejoindre l’Advisory Board de blossom, j’ai été immédiatement motivé sur deux plans. Tout d’abord, j’ai reconnu dans la démarche de repositionnement de l’agence un véritable tournant annonçant une transformation en profondeur de son activité pour se concentrer sur le conseil et la communication responsable. D’un point de vue entrepreneurial, ce n’était pas sans risque, j’ai voulu saluer cette passion et cette conviction. C’est beau. Ensuite, avec mon regard d’enseignant, j’ai été interpellé par le lien entre la vocation de blossom, celle de sensibiliser le plus grand nombre, et le moyen que l’équipe a développé avec son programme Impact Learning. Le e-learning fonctionne, nous savons que cognitivement c’est un format qui permet un meilleur apprentissage, à condition que la qualité soit présente. C’est le cas ici. À partir du moment où j’ai reconnu ces deux éléments qui me touchent personnellement – la passion et la qualité – ma participation s’est imposée comme une évidence.
Comment contribuer ? J’aimerais aider l’équipe de blossom à réfléchir en mode « collectif », à créer des partenariats, car c’est un domaine dans lequel on ne peut agir seul. Je sais que je peux aider sur ces aspects et je m’en réjouis.