Rosa M. Garcia Piñeiro

Femme de terrain, ingénieure et polyglotte

«Il est essentiel d’avoir une vision long terme»

A quel moment a commencé votre « sustainability journey » personnel? Un élément déclencheur?

Pour être tout à fait franche, au moment de démarrer mes études d’ingénierie civile en Espagne je n’avais jamais imaginé travailler dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises. Dans ma discipline, le sujet n’était pratiquement pas abordé. Ma découverte de la RSE et du développement durable s’est faite de façon presque accidentelle. Au moment de choisir l’université où je souhaitais préparer ma thèse, j’avais décidé de privilégier une destination anglophone pour pratiquer la langue. Un établissement en Irlande s’est révélé être une option attirante et le sujet de la thèse y était prédéfini – il portait sur le thème de l’environnement.

Lors de mon retour en Espagne avec mon diplôme en poche, au moment de chercher mon premier travail, à ma grande surprise j’ai constaté que le sujet de ma thèse créait bien plus d’intérêt que mes études d’ingénieure industrielle. C’est ainsi que ma carrière a débuté avec un poste dans le département de l’environnement d’une usine de production d’aluminium, pour le compte d’une grande multinationale. Le hasard m’avait guidée sur ce parcours de battante pour le développement durable mais j’ai tout de suite été passionnée, et n’en ai jamais dévié !

Quelles sont les qualités essentielles à votre avis pour toute personne en charge de la RSE au sein d’une entreprise?

J’ai une certitude à ce sujet, issue de mon expérience professionnelle : la principale qualité est celle de comprendre en profondeur l’entreprise, pour savoir exactement comment elle génère des revenus. Car il faut être capable de concevoir les projets RSE comme des leviers de création de valeur pour l’entreprise. Les bénéfices business seront toujours la priorité parmi les dirigeants et doivent systématiquement être présents pour que les stratégies proposées soient convaincantes et cohérentes. En argumentant de la sorte, en alignant les projets RSE avec la stratégie de développement de l’entreprise et en démontrant une compréhension transversale de l’organisation, une place à la table des dirigeants est acquise. C’est primordial.

En second lieu, il est essentiel d’avoir une vision long terme des risques auxquels l’entreprise est exposée et des opportunités qui s’ouvrent à elle. Il s’agit d’une capacité de se projeter, d’imaginer les prospectives, de préparer l’avenir en protégeant la valeur actionnariale du présent. L’écoute et une certaine sensibilité sont également des qualités importantes, je pense, pour trouver des arguments forts et des terrains d’entente avec toutes les parties prenantes.

«La principale qualité est celle de comprendre en profondeur l’entreprise»

Pensez-vous que les mentalités sont en train de changer parmi les dirigeants d’entreprise?

Oui. Par contre, on peut reconnaitre que les mentalités n’évoluent pas au même rythme dans tous les secteurs, certains étant plus impactés que d’autres par les tensions et exigences actuelles. Je dirais que les secteurs fortement exposés à l’opinion publique sont plus réactifs de manière globale car ils courent plus de risques en restant dans l’inaction. L’alimentaire et l’automobile pour n’en citer que deux. Risque et opportunité sont comme deux moteurs pour les dirigeants : soit les entreprises choisissent de saisir les opportunités qui émergent en inventant un nouveau modèle et en prenant le lead, soit elles visent à limiter ou contrôler les risques liés au modèle existant.

Personnellement, j’observe pour l’instant une accélération plus forte du côté de la gestion des risques liés aux enjeux du développement durable. Le moteur de l’opportunité est tout juste en train de se mettre en marche mais je crois en sa puissance et son potentiel d’accélération.

La RSE est une démarche au long cours qui se construit progressivement avec de petits succès et parfois de grands bonds en avant. Pouvez-vous nous raconter un succès dont vous êtes fière.

Depuis quinze ans que j’œuvre pour faire avancer la RSE, j’ai l’impression de pousser une grosse pierre sur la pente raide d’une montagne. L’effort est soutenu, et sans relâche! Par conséquent, j’ai appris à savourer chaque succès, petit ou grand.

Je peux citer par exemple la publication du premier rapport RSE de mon entreprise, tout simplement. Cela a représenté un jalon significatif après un travail ardu, et c’est une source de fierté pour toute l’organisation. Pour un exemple plus spécifique, lorsque nous avons lancé la première marque privée de produit durable dans le secteur de l’aluminium, j’ai eu le sentiment d’avoir réussi à faire bouger les lignes. Il s’agissait d’une véritable innovation, dans un secteur où le produit est entièrement banalisé car son prix dépend des marchés. Il a fallu convaincre qu’on pouvait non seulement produire, mais aussi vendre, de l’aluminium «premium». J’ai mis 5 ans à persuader notre CEO et à mettre l’idée à exécution! Aujourd’hui, cela représente un avantage compétitif pour l’entreprise.

Votre plus grande victoire?

Tout d’abord, je suis fière d’avoir su rester fidèle à moi-même dans mon travail, de ne jamais avoir été emportée par des luttes d’intérêt. Grâce à cela, je peux me regarder en face dans le miroir, avec la certitude d’avoir toujours cherché les solutions justes.

Une victoire qui reflète cette recherche d’un juste équilibre a été le développement au sein de mon entreprise du programme de dialogue avec les peuples indigènes. De par la nature de l’activité du secteur de l’aluminium, nous intervenons régulièrement dans des territoires isolés et notre présence peut avoir un impact sur les populations locales. Ce programme est au cœur de notre réflexion et action en termes de responsabilité sociale.

Les questions soulevées dans les discussions avec des peuples indigènes avant d’entamer une exploration sur leur territoire sont complexes, nous faisons souvent face à des dilemmes et travaillons avec des anthropologues, des sociologues pour guider nos interactions. Le dialogue peut durer longtemps avant d’obtenir les autorisations, ce qui crée une pression en interne, mais il est primordial et je l’apprécie; cela me permet d’aller régulièrement à la rencontre de personnes extraordinaires et je vois mon rôle d’une certaine façon comme étant leur représentante au sein de l’entreprise. Le fait de faire entendre leur voix est une victoire.

Votre rencontre la plus marquante sur le terrain ?

Comme vous pouvez l’imaginer, dans le cadre de mon activité, j’ai fait des rencontres exceptionnelles au sein de tribus à travers le monde. Ce sont des expériences mémorables : tu arrives, tu t’assois par terre et avant toute chose, on te sert à manger. Cette générosité naturelle me touche toujours. Les enfants me dévisagent, viennent m’effleurer le visage avec beaucoup de tendresse et je prends conscience de la chance que j’ai d’être ainsi accueillie. La première fois que je suis allée au Surinam, les chefs de tribus amérindiens m’attendaient pour partager un point de désaccord des plus surprenants. Ils m’ont expliqué que les esprits de leurs ancêtres ne naviguaient plus sur le fleuve sacré, à cause d’un pont qui avait été construit pour faciliter l’accès au chantier. Je suis allée avec eux voir le fleuve, j’ai été à l’écoute et quelques jours plus tard une bonne nouvelle m’est parvenue de leur part: nos échanges avaient permis de rassurer les esprits, et les chefs étaient sereins à nouveau.

Cet aspect de mon travail me tient à cœur. Une toile occupe une place centrale au mur dans mon appartement : un paysage qui m’a été offert par un chef de tribu, gardien des Terres du Sud de l’Australie. En me le remettant, il m’a simplement dit «J’ai senti que ce dessin de notre terre voulait vous accompagner». La toile me rappelle joliment au quotidien la responsabilité que je porte dans mon travail.

«J’ai fait des rencontres exceptionnelles au sein de tribus à travers le monde»

Quelles évolutions dans l’actualité du développement durable vous donnent de l’espoir aujourd’hui?

L’émergence de nouveaux modèles est source d’optimisme. On peut citer l’économie du partage, qui illustre comment tirer le meilleur de la révolution numérique et en faire un atout pour la transition vers un monde plus durable. Regardez blablacar ou mobility: ce sont des business modèles formidables.

La crise sanitaire actuelle, aussi dure soit-elle, nous pousse à évoluer et ce changement dans les mentalités me donne de l’espoir. J’ai l’impression que le lien entre le développement durable et la qualité de vie se cristallise pour beaucoup. Nous sommes amenés à comprendre notre fragilité dans l’écosystème naturel, et à tester un mode de vie dans lequel nous acceptons certains renoncements. Nous faisons le lien entre notre santé et la santé de la planète et réalisons mieux la portée de nos actes, ce qui nous amène à une implication personnelle qui est le moteur essentiel du changement.

La RSE représente un chamboulement de notre modèle capitaliste qui demande un changement en profondeur des comportements parmi toutes les parties prenantes. Avec ce que vous avez pu observer, où en sommes-nous à votre avis sur une échelle de 1 à 10 ?

Cette question est large, et les réponses varient en fonction des parties prenantes, du «nous» dont on parle. Peut-être est-ce une partie du problème, il existe trop de «nous» avec des intérêts divergents! Les peuples indigènes ont parfaitement compris le développement durable, ils savent que notre niveau de consommation est insoutenable pour la planète. D’autres « nous », comme mon entreprise, dépendent d’un modèle capitaliste bâti sur une production et une consommation toujours croissantes. Toutes les entreprises d’extraction de ressources non-renouvelables vont résister et se battre jusqu’au bout. Et même si elles s’adaptent, elles vont essayer de contrebalancer le plus longtemps possible, en poursuivant par exemple l’extraction du pétrole tout en installant des panneaux solaires dans tous les bureaux. La compensation n’est pas une solution durable.

Les parties prenantes qui vont véritablement porter le changement sont, à mon avis, les consommateurs et les régulateurs. De ce côté-là, en Europe, je dirais que nous en sommes au niveau 3 ou 4 sur une échelle de 10, et l’Europe est plutôt en avance par rapport à d’autres!

Qu’est-ce qui vous a motivée à rejoindre l’Advisory Board de blossom ? Qu’espèrez-vous amener ?

J’ai trouvé très intéressant l’idée de repositionner une agence de communication traditionnelle fondée sur un axe stratégique important, en une agence dédiée à la transformation responsable des marques, qui conseille sur la démarche de fond et s’appuie sur la communication comme levier de changement. C’est un pari ambitieux et c’est surtout très pertinent. Je suis convaincue que l’approche, qui marie conseil stratégique et communication, est intelligente et répond à un vrai besoin. Je crois fermement au potentiel de création de valeur réelle pour vos clients, par l’intégration des enjeux de développement durable dans la stratégie d’entreprise. J’ai aussi été touchée par l’authenticité de la démarche de l’équipe blossom.

J’espère contribuer en apportant une perspective venant de l’industrie, et je tiens à votre succès!

Partagez l'article sur: