Yves Loerincik

Physicien, entrepreneur et incubateur d’idées

«Ce domaine privilégie le partage et la collaboration, c’est une force.»

A quel moment a commencé votre « sustainability journey » personnel? Un élément déclencheur?

Je n’ai pas vécu un véritable élément déclencheur, mais plutôt un moment de vie, lors de mes études en Physique à l’EPFL, qui m’ouvraient de nombreuses voies. A cette période charnière, lorsque des choix s’imposaient pour le chemin professionnel que je souhaitais prendre, la notion de sens s’est imposée et j’ai compris que mes compétences pourraient s’appliquer à la protection de l’environnement. Ce fut un choix très personnel, peu commun à l’époque parmi mes pairs. J’ai enchainé des stages et un premier emploi dans ce domaine, notamment dans un bureau d’ingénieurs en environnement et en gestion des déchets. Le consulting RSE était peu répandu à l’époque! J’ai ensuite fait ma thèse dans l’analyse du cycle de vie appliqué aux thèmes des technologies de l’information et donc l’analyse de leur impact sur l’environnement. J’avais trouvé mon domaine.

Vous avez choisi le chemin de l’entrepreneuriat pour agir en faveur du développement durable. Avez-vous défini dès le départ votre « raison d’être » / « purpose »?

Je me suis donné pour mission, depuis le départ, de réfléchir à ce qu’est un avenir durable et à comment y parvenir. L’entrepreneuriat, d’abord avec Quantis puis eqlosion, représente pour moi une manière de réaliser cette mission, de différentes manières selon l’entreprise.

Avec eqlosion, nous cherchons à mettre en place une forme d’entreprise qui correspond à une réflexion profonde de responsabilité sociétale au sein même de l’entité aussi bien que dans son activité. Ainsi, c’est une société à but non lucratif, qui ne paye pas de dividendes. 90% des bénéfices sont réinvestis dans des projets RSE internes et externes et les écarts de salaire globaux sont bien définis. Nous avons défini une manière de fonctionner qui est agile et respectueuse des collaborateurs et collaboratrices. Nous concevons vraiment l’entreprise comme un collectif, elle ne doit pas être dépendante d’un seul membre. La mission est partagée!

«La RSE est un domaine transversal, touchant à toutes les dimensions de l’activité d’une entreprise»

Qui vous inspire tout particulièrement dans votre domaine? Pour le modèle d’entreprise notamment.

Je ne pourrais pas citer une seule personne d’influence. C’est dans l’échange constant et l’écoute que je trouve régulièrement de nouvelles perspectives et sources d’idées, grâce à des personnes de profils variés, que ce soient des académiciens, des entrepreneurs ou des gens du terrain. Ce domaine privilégie le partage et la collaboration, c’est une force.

Pour le modèle d’entreprise, un livre m’a particulièrement inspiré et a résonné comme une évidence: «Reinventing organizations» de Frédéric Laloux.

Quelles sont les qualités essentielles à votre avis pour toute personne impliquée et active dans le domaine de la RSE?

Parmi les personnes que j’ai rencontrées dans ce domaine, je dirais que la plupart ont fait ce choix vraiment par conviction personnelle, souvent en lien avec un attachement très fort à la nature ou une fibre sociale prononcée. Ces convictions fortes se multiplient, je croise de plus en plus de personnes qui travaillent en se sentant investies d’une mission qui va bien au-delà de l’économique.

Parmi les qualités particulières importantes, il y a bien sûr une certaine mise en perspective, la capacité de penser long terme.  Et une compréhension systémique, qui n’est pas toujours évidente à appréhender. La RSE est un domaine transversal, touchant à toutes les dimensions de l’activité d’une entreprise. Pour adresser les enjeux, on ne peut pas se contenter de solutions simplistes, il faut une vision systémique, globale: tout est lié. Comme qualité, il faut aussi un peu d’abnégation! On peut avoir son idée en tête, mais il faut rester flexible sur le chemin qu’on emprunte, en s’alignant avec ceux qui portent le projet d’entreprise. Accepter que tous avancent à leur rythme, le plus important étant simplement d’avancer.

Au sein des entreprises, la RSE est une démarche au long cours qui se construit progressivement avec l’aide de personnes comme vous. Dans votre rôle de consultant avec des expériences très variées, pouvez-vous nous raconter un succès (petit ou grand) qui vous a marqué?

Chez Quantis on a travaillé avec de très grands groupes, il n’était donc pas facile d’avoir un impact visible immédiat. J’ai rarement pu constater des changements profonds rapides au cœur même de l’activité d’une grande entreprise. Toutefois, en observant aujourd’hui la dynamique actuelle d’entreprises avec qui Quantis travaille depuis le début, on note un changement de direction assez profond. Une évolution n’est pas toujours mesurable, elle peut se mettre en œuvre aussi dans les mentalités, ce qui représente déjà un succès important.

Je me souviens en particulier d’un projet dans le domaine de l’IT: la réalisation d’une analyse du cycle de vie. Le principal résultat s’est ressenti au niveau de la direction, qui a pris conscience qu’on pouvait mesurer précisément l’impact environnemental de l’entreprise et donc y remédier. Leur notion de la responsabilité sociale de l’entreprise s’est clarifiée et avec cette compréhension acquise, nous avons facilité la prise de décision et donc l’action.

Pensez-vous que les mentalités sont en train de changer parmi les dirigeants d’entreprise?

De manière générale, on constate encore un manque de formation et de connaissances précises chez les dirigeants et les décideurs politiques. Les spécialistes du domaine ont un vrai rôle à jouer en termes de sensibilisation à tous niveaux.

D’une part il est essentiel de comprendre les enjeux et problématiques globales de développement durable, d’intégrer les risques pour son entreprise, d’avoir une compréhension des règlementations existantes ou à venir et de saisir les grands mouvements de fond.

D’autre part, la notion de prospective est, me semble-t-il, l’élément clé pour les 5 ou 10 ans à venir – à quoi ressemblera notre monde? Peu de personnes arrivent à se projeter vers les grands changements à mettre en œuvre, les nouveaux modèles à imaginer. Il y a un besoin d’information et d’accompagnement de ce point de vue également. Je suis personnellement convaincu que la vitesse des bouleversements que nous allons vivre va s’accélérer, ce qui va nécessiter une transformation rapide de toutes les organisations. Les dirigeants doivent s’y préparer, notamment en adaptant les formations aux futurs métiers et en se préparant à faire pivoter l’entreprise.

«Peu de monde avait imaginé la révolution numérique et pourtant elle a chamboulé notre monde, et ce en moins de trente ans!»

Observez-vous une accélération dans les projets liés à la RSE? Pensez-vous que nous avons, en 2020, franchi un cap en termes de transformation du modèle capitaliste existant?

Mon sentiment est mitigé. Il y a clairement une accélération dans la prise de conscience et même dans les volontés d’agir. Mais je ne sais pas si nous avons vraiment franchi un cap. Il est vrai que par rapport à 2005, la situation n’a plus rien à voir. A l’époque nous en étions encore à justifier le pourquoi d’une démarche RSE. Ce n’est plus la question aujourd’hui, le sujet est sur le devant de la scène, ce qui représente une progression en soi. Toutefois, face à l’urgence et à l’ampleur des objectifs à atteindre, la transformation au niveau structurel est trop lente. Il est toutefois compliqué d’accélérer tout en s’assurant d’un tel changement en profondeur, qui ne peut se concevoir habituellement que sur une période d’une voire deux générations. Je crains toutefois que nous n’ayons pas le choix.

On peut noter certains succès, des entreprises qui sont particulièrement dynamiques comme Danone ou IKEA, certains pays même qui montrent la voie, comme la Finlande. Peut-être verrons-nous un basculement lorsque ces exemples isolés atteindront une taille critique et prouveront la faisabilité d’un nouveau modèle. Actuellement nous en sommes seulement à des tentatives par petites secousses, la transformation à faire reste gigantesque et devra se concevoir et se réaliser de manière collective. Heureusement, le nombre de ces petites secousses se multiplie rapidement.

L’humain réagit face à l’urgence. Peut-être que lorsque des crises viendront à s’accentuer, que ce soit d’un point de vue climatique ou avec par exemple des déficits d’approvisionnement en pétrole, nous verrons alors une accélération plus forte. Il est bien difficile de prévoir l’avenir. Peu de monde avait imaginé la révolution numérique et pourtant elle a chamboulé notre monde, et ce en moins de trente ans!

Vous est-il arrivé de vous décourager face à l’ampleur des enjeux du développement durable? Comment rester serein et positif?

Oui, cela a pu m’arriver, bien sûr. Personnellement j’essaye simplement de faire de mon mieux tous les jours pour que le sujet avance. C’est loin d’être parfait ou suffisant mais cela me donne du sens et me permet d’être fidèle à mes convictions. Les communautés et les réseaux aident à rester positif, à se sentir entouré. Ce domaine est riche en collaboration et en partage, il y a beaucoup de personnes impliquées, investies et motivées. Je fais le choix de travailler avec ceux qui ont envie d’avancer et j’évite d’être découragé ou retenu par d’autres qui seraient réticents. Il me tient à cœur de faire en sorte que cette communauté s’agrandisse.

Qu’est-ce qui vous a motivée à rejoindre l’Advisory Board de blossom ? Qu’espèrez-vous amener ?

J’ai envie de soutenir les entités qui œuvrent pour la transformation responsable, et je suis persuadé qu’il y a un enjeu particulier dans la communication. C’est un élément clé dans une démarche RSE, le succès dépend en partie de comment l’entreprise raconte ses engagements, comment elle informe. Il y a également beaucoup à faire pour aider les marques à se positionner en intégrant un certain engagement et je trouve cet aspect particulièrement intéressant. La communication est complémentaire aux actions de terrain, j’espère donc vous aider dans vos efforts, autant pour sensibiliser que pour accompagner les entreprises de toutes tailles en Suisse Romande dans leur transformation responsable. J’ai pu constater combien le choix que vous avez fait de vous positionner dans ce domaine est guidé par des convictions profondes, partagées par toute l’équipe.

Pour cette raison je crois en votre succès et me réjouis de cette collaboration, car j’apprécie avant tout travailler avec des professionnels engagés et passionnés. Nous serons plus forts ensemble!

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