Fabrice Leclerc

Business Angel, Créateur et défenseur de la vie

«Il faut créer des conditions pour que la terre puisse se régénérer.»

Pour commencer, pouvez-vous nous raconter votre cursus?

J’ai passé une partie de mon enfance dans la Nature, à la campagne, à découvrir la beauté de la vie, à observer et jouer avec ses êtres vivants.

L’envie de la protéger en devenant vétérinaire est devenue une évidence. Cependant, lors de mes études, je me suis aperçu que la réalité du métier était différente de ce que je m’étais imaginé et des amis m’ont montré que je pourrais faire mieux en utilisant la force du monde économique, notamment par le biais de l’innovation. C’est ce qui a donné le sens à ma vie et dessiné sa trajectoire: innover pour la vie.

A quel moment a commencé votre «sustainability journey» personnel? Un élément déclencheur?

Nous sommes tous marqués par l’environnement dans lequel nous avons grandi, nous y formons notre petite “boite” émotionnelle, que nous utilisons toute notre vie pour nous repérer. C’est pour cela qu’à un moment de notre vie nous avons besoin de sens, et ce sens est toujours lié à ce que nous avons vécu quand nous étions petits.

Pour moi, comme pour tous les habitants de la Terre, c’est la Nature notre première école; elle est l’école de la vie et du sens que nous cherchons à retrouver aujourd’hui. La Nature est la source de l’émerveillement. Le gout des baies, du miel sauvage, l’eau de source fraiche, les fleurs et les papillons multicolores, les brumes enchantées, c’est la “promised land”. Et puis vint le choc avec les villes, l’industrie, le business réduit à sa dimension financière, monotones, dépourvus de sens, la déception, l’anéantissement du rêve d’enfant.

Ce sont des éléments déclencheurs, des observations et des expériences qui, au fil des années, ont contribué à tracer mon chemin. Quand on avance dans la vie, on pose des galets, un peu au hasard, souvent, puis un jour on se retourne et on découvre que ces petits galets ont tracé un chemin pour une raison.

«En quelques années nous devons réussir une transformation profonde de notre civilisation et régénérer en même temps la vie sur Terre.»

Pour une entreprise, le fait de mesurer sa performance aussi bien économique que sociale et environnementale représente un changement en profondeur. A votre avis, où en sommes-nous dans cette transition?

Nous pensons que nous pouvons améliorer les choses en mesurant. Le tracking se multiplie, pour mesurer notre sommeil, anticiper nos choix; c’est le modèle des tech companies. Mesurer ses émissions de CO2 c’est un début, mais ce qui est plus important est de mesurer combien on en a enlevé de l’atmosphère, pour ensuite contribuer à la régénération du climat, mesurer combien de nouveaux milliers de kilomètres carrés de forêts, de prés et d’Océans nous aurons réussi à conserver et à régénérer cette année. Comme le dit avec justesse Yvon Chouinard de Patagonia, “there is no business to do on a dead planet”.

Ce moment de transition, ouvre une opportunité extraordinaire, c’est une fenêtre temporelle ouverte pour 10 ans, un évènement extrêmement rare dans l’histoire de l’humanité, et c’est maintenant. ”Ce que nous ferons dans les prochaines années déterminera le monde pour des milliers d’années à venir” comme l’a dit Sir David Attenborough, le célèbre journaliste de la BBC.

Qui vous inspire tout particulièrement dans ces réflexions sur la RSE et la régénération?

Ce sont les enfants qui m’inspirent. Ils sont connectés avec leur «deep data» qui est de protéger la vie et d’être heureux. Un enfant ne cherche pas à grandir en centimètres, il cherche à être heureux, la croissance n’a de sens que si elle a un but et ce but, commun à tous est d’être heureux et de vivre. C’est ce qui nous rassemble et nous avons plus que jamais besoin de nous rassembler autour de la vie.

Au niveau professionnel, ce sont tous ceux qui s’améliorent et agissent qui m’inspirent, les personnes qui font partie de l’économie de la régénération et qui se régénèrent eux-mêmes, pour pouvoir s’occuper des autres. S’améliorer est très difficile.

Ce sont aussi les entrepreneurs, les employés qui s’engagent bien au-delà de leur business ou de leur job, ceux qui défendent leur Terre, leurs forêts, leurs plages, ceux qui convertissent le béton en potagers, ceux qui se mettent à cuisiner chez eux pour leurs enfants et leur famille, les professeurs qui enseignent le sens plus que la matière, les politiques comme Jacinda Ardern qui agissent, les banques qui ferment leurs portes à ceux qui détruisent le monde. Steve Jobs aurait certainement été d’accord, lui qui disait “Have the courage to follow your heart and intuition. They somehow already know what you truly want to become. Everything else is secondary.”

«Un des principes de l’innovation est d’être capable de créer une réalité plus belle que celle qui existe»

Votre parcours a fait de vous un expert en innovation. Est-ce là que vous voyez le chemin à suivre pour faire la différence?

Un des principes de l’innovation est d’être capable de créer une réalité plus belle que celle qui existe, en quelque sorte de transformer l’ombre en lumière, et aujourd’hui l’opportunité de faire mieux n’a jamais été aussi gigantesque.

Notre espèce a besoin de croire en une histoire, c’est à nous de créer une meilleure histoire du Monde que celle que nous sommes en train de laisser derrière nous qui en fait n’était qu’une illusion, déconnectée de la réalité.

Personne n’est expert, même les plus grands scientifiques, avec toute notre technologie de pointe, n’arrivent pas à comprendre plus que 1 ou 2% de la composition de ce qui nous entoure. Dans mon domaine, nous savons bien qu’à chaque projet, nous recommençons à zéro; ce n’est pas parce que nous avons réussi que nous réussirons. Les seules règles que nous connaissons sont dans la Nature, c’est elle l’experte en innovation, elle a 3 milliards d’années de succès en recherche et développement, c’est avec elle que nous devons innover aujourd’hui. Nous ne sommes que des apprentis éphémères.

C’est la Nature aussi qui est la source de notre économie, de notre société, de notre existence, de chacun de nos battements de cœur. Les forêts, rivières, océans et sols nous fournissent la nourriture que nous mangeons, l’air que nous respirons, l’eau avec laquelle nous irriguons nos cultures. C’est ce que l’on peut appeler le « capital naturel » du monde et il est phénoménal, infiniment plus grand et stable que l’économie d’aujourd’hui, de l’ordre de 300 trillions de dollars, 3 fois le total de l’économie actuelle, et capable de créer exponentiellement plus 6 milliards de nouveaux emplois d’ici 2030.

Nous n’avons pas besoin d’un changement systémique, nous avons besoin d’une meilleure perception de notre monde – en changeant notre perception, nous changerons le monde.

«L’humain a cette faculté d’imaginer de nouvelles réalités, c’est en cela que notre espèce se différencie.»

Rejoignez-vous l’idée que la collaboration est la clé du succès? Comment l’encourager?

Je dirais plutôt que la clé du succès est la symbiose.

La première cellule a réussi à se multiplier, et à créer des organismes plus grands, des plantes, des animaux, nous, à chaque fois parce qu’elle a eu l’intelligence de prendre moins que ce que son environnement était capable de régénérer. C’est la symbiose, la première “intelligence naturelle”.

Ensuite, nous nous sommes rassemblés en communautés, dans des abris, dans des villages, des villes, chaque fois nous ne pouvions évoluer que si nous étions capables de symbiose. Aujourd’hui, alors que nous avons créé un village mondial, notre challenge consiste à être en symbiose avec la nature.

Nous avons grandi avec la perception que seuls les plus forts survivent et que la concurrence est la règle. Mais en pensant ainsi, nous avons fait de la Terre, non plus un paradis, mais une zone de guerre.

A votre avis, quel est le meilleur accélérateur de transition vers un monde durable: les dirigeants d’entreprise, les gouvernements, ou bien les nouvelles générations?

Le meilleur accélérateur est un nouveau récit qui fascine et mène à une action collective à tous les niveaux. Or notre récit commun est la vie, elle doit être remise au centre de nos activités. Nous sommes des Sapiens et avons besoin de croire que tout est possible; avec 8 milliards qui agissent nous allons y arriver.

2/3 de l’économie mondiale est faite par les entreprises privées, elles sont donc une partie importante de la solution.

«La clé du succès est la symbiose.»

Pour rester serein et positif face à l’ampleur et à l’urgence des changements nécessaires, beaucoup préconisent un retour à la nature. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi?

Quand cela ne va pas bien, comme aujourd’hui, nous revenons à la maison et notre maison à tous c’est la Nature. Voilà pourquoi ce n’est pas une tendance, c’est vital. Nous venons de mers différentes mais nous sommes tous sur le même navire.

Nous avons tous le pouvoir de rêver, c’est peut-être grâce à ce pouvoir que nous avons parcouru la Terre, à la recherche d’une vie meilleure. Au début, nous pensions que la Terre était infinie, mais nous avons très vite réalisé qu’elle était en fait toute petite. C’est ce que ressentent les astronautes lorsqu’ils vont dans l’espace et qu’ils voient un petit point bleu, la Terre. Ils se rendent compte que tout dépend d’elle, tout dépend de la Nature – c’est une expérience qui les transforme, eux qui viennent de la technologie et du désir de conquête de l’infiniment grand. Ils réalisent que la vie dépend entièrement de ce petit point bleu.

Souvent, nous nous souvenons de la valeur de la vie qu’après nous en être éloignés. C’est exactement ce que nous ressentons aujourd’hui – le merveilleux paradis vivant que nous connaissions disparaît rapidement à cause de nous.

À cinq reprises dans l’histoire de la Terre, la vie a prospéré, mais des événements ont provoqué son extinction. La dernière fois, c’était il y a 70 millions d’années, quand une comète a frappé la Terre et a anéanti 90 % de la vie, y compris les dinosaures. Notre perception du monde et notre comportement ont précipité la Terre dans la sixième extinction massive et notre civilisation, telle que nous la connaissons, est en train de s’éteindre rapidement. 80% des animaux sauvages ont disparu de la Terre en quelques années à cause de nous et quand la vie est en jeu, tout est en jeu, l’évolution ne suffit plus.

Nous nous étions pourtant appelés Sapiens, pensant que nous savions. Mais cela signifie-t-il que c’est la fin ou le début d’une autre espèce plus intelligente ?

En quelques années nous devons réussir une transformation profonde de notre civilisation et régénérer en même temps la vie sur Terre. C’est notre dernière chance. Au cours des temps, de nombreuses civilisations ont disparu et ont été remplacées. Une civilisation a un cycle de vie, comme tout ce qui existe dans l’Univers; une étoile naît, elle vit, elle meurt – nous vivons et nous mourons.

La Terre est un bel hôtel qui nous accueille pour un très court séjour. Certains d’entre nous ont peut-être encore 10 000 nuits, d’autres que quelques-unes, avant de repartir, alors nous n’avons pas le temps de passer à côté de la raison pour laquelle nous sommes ici: pour y vivre et être heureux.

La transformation est un processus naturel. La chenille dévore la feuille qui la nourrit jusqu’à ce qu’il n’en reste que quelques petits morceaux. Nous avons fait de même, nous avons consommé presque entièrement la Terre. Mais une fois que la chenille a consommé la feuille, elle s’arrête, et commence son évolution en chrysalide – un papillon multicolore émerge. Maintenant, il vole et se nourrit du nectar des fleurs … il a réussi à se transformer – son comportement ne ressemble plus du tout à celui d’avant, c’est ce que nous devons être capable d’accomplir maintenant…  “nous ne pouvons pas revenir à la normale parce que le normal que nous avions était précisément le problème”.

La connection avec la Nature et sa régénération sont des thèmes qui vous tiennent à cœur et que vous développez avec votre projet vallée éternelle. Pouvez-vous nous en raconter la genèse et la vision?

La vallée éternelle est située en France dans le Périgord noir. Elle fait partie du Patrimoine Mondial de l’humanité de l’Unesco, car on y a découvert le squelette d’un des premiers Sapiens (www.vallee-eternelle.org). C’est un lieu unique pour les 50 000 ans d’expériences et de connaissances qu’il a conservés et pour moi, c’est simplement l’endroit où j’ai passé une partie de mon enfance.

Au cours des millénaires, nous sommes toujours revenus ici, pour nous rappeler d’où nous venons, qui nous sommes, pour nous régénérer, comme nous le faisons lorsque nous rentrons à la maison.

Il y a quelques années, j’ai appris que ces forêts, les 160 espèces vivantes protégées, leurs sources, dont l’éternelle qui est considérée comme la plus ancienne source connue de l’Homme en Europe, allaient être rasés pour y construire des maisons.

J’ai dû alors me transformer en “activiste” pour défendre ma mémoire, ma terre, ce que je n’avais jamais fait puisque je travaillais pour l’innovation des marques de luxe. J’avais en face de moi de puissantes forces politiques et économiques pour lesquelles ma forêt n’avait pas de valeur, alors qu’avec un peu de connaissance, d’éducation, nous savons que les forêts sont les sources de notre santé et de celle de la Terre.

Pour réussir, j’ai utilisé mon premier principe d’innovation: ne pas aller contre, mais créer une réalité tellement plus belle que tout le monde voudra en faire partie et la protéger, transformer l’ombre en lumière.

J’ai appelé cet endroit «la vallée éternelle», parce qu’elle nous vient de la nuit des temps et montre le chemin de notre avenir. Puis, j’ai essayé de réunir une communauté de soutien, présenté le projet à Patagonia, rencontré Yvon Chouinard qui a apporté son soutien immédiatement. Cela a fait une énorme différence, je n’étais plus seul. Ceux qui créent des projets innovants connaissent cette expérience.

Depuis, le nombre de participants et de demandes n’a eu de cesse d’augmenter, que ce soit du monde de l’économie, de la science, de l’académie, des personnes qui aimeraient faire la même chose chez eux, des entrepreneurs, des startupers et des chefs d’entreprises qui veulent savoir comment faire. Nous avons tous une vallée éternelle dans notre cœur à protéger!

La mission est de soutenir la création d’un milliard de “vallée éternelle” dans le Monde en 10 ans, des “sanctuaires de vie”, pour régénérer 30% des espaces naturels de la Terre. C’est un objectif minimal et exponentiel reconnu par les scientifiques pour que la Terre puisse retrouver son pouvoir régénératif et que nous, sapiens, puissions continuer notre aventure.

La vallée éternelle est comme une première cellule, elle démontre que la conservation et la régénération de la Nature sont la source de la prospérité moderne et l’unique chemin viable.

Le World Economic Forum considère que la régénération de la Nature est le challenge et la source de prospérité du 21ème siècle. Nous n’avons que quelques années pour réussir ce challenge tous ensemble. Cette année le jour du dépassement de la planète est le 22 Aout. C’est le jour à partir duquel nous avons dépassé la capacité de régénération de la Terre, pour certains c’est aussi le retour des vacances, pour d’autres le commencement d’un nouveau voyage.

Elon Musk veut aller sur mars, avec la vallée éternelle nous voulons rester sur Terre et éventuellement aider Musk à en faire une sur Mars. L’argent qui va à l’exploration spatiale devrait être utilisé pour régénérer notre propre planète, dès maintenant.

«Imaginons une nouvelle fois, en gardant cette fois les pieds sur Terre.»

Êtes-vous optimiste pour l’avenir?

OUI. Nous avons besoin de croire, c’est le “power of hope” qui nous anime. Bien sûr, nous sommes entourés de prédicateurs de la fin du Monde, de négativité, de cynisme, de mensonges, d’ombre, mais encore une fois, l’antidote est la lumière et l’action concrète et pragmatique.

La « vallée éternelle » apporte cette lumière. J’ai vu de mes propres yeux et fait l’expérience en première ligne qu’il suffisait qu’une personne se lève pour changer le cours de l’histoire. Même si la vallée éternelle n’est qu’une goutte d’eau sur la grande bleue, ce que nous pouvons faire ensemble, avec 8 milliards de Sapiens est inimaginable. En fait tout est possible.

La pandémie actuelle, aussi difficile soit-elle, montre qu’un seul virus invisible (et il y en a 10 puissance 31 sur la Terre) suffit à faire vaciller une économie mondiale qui a oublié les lois naturelles, et nous rappeler que la Nature est la source de notre santé, connaissance, bonheur et prospérité. Une leçon d’humilité que nous pouvons et devons transformer en opportunité.

Le paradis a toujours été là, il nous faut maintenant accélérer sa régénération et redécouvrir la prospérité et le bonheur illimités dont la Nature a le secret. La première cellule a réussi à se développer il y a 3 milliards d’années grâce à sa capacité de symbiose, un génie que nous n’avons jamais retrouvé ailleurs dans l’Univers.

Nous sommes peut-être intelligents, mais cela ne suffit plus, nous devons maintenant devenir sages et devenir de bons ancêtres. Alors, imaginons, une nouvelle fois, en gardant cette fois les pieds sur Terre.

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