Tribune dans Bilan
Alors que les artistes prennent conscience de leur empreinte carbone, Coldplay prend le taureau par les cornes. Le groupe britannique planifie une tournée responsable, consultant des scientifiques pour minimiser son impact environnemental.
Le support des autorités locales dans le projet démontre que les success stories s’écrivent toujours dans un collectif de parties prenantes.
Ça y est! Me voilà sur la route des vacances, pause estivale dans les réflexions qui nous animent au quotidien sur la durabilité et le réchauffement climatique – même si elles continuent bien entendu de guider nos actions.
Après 3 heures de train pour rejoindre Zurich, je m’apprête à assister au concert du groupe britannique Coldplay quand, dès le premier contact avec la foule, je me trouve immergée dans les engagements du groupe pour un monde plus durable! Désormais, ce sujet a sa place partout. Et c’est plutôt une bonne nouvelle.
On connaît la nécessité pour le monde du sport de s’emparer des sujets de durabilité, notamment grâce au potentiel qu’ont les personnalités sportives populaires de se faire les porte-voix (et ouvreurs de voies!) des nouvelles pratiques à déployer.
Le secteur de la musique détient ce même pouvoir. «Lanceurs d’alertes» ou reflets d’une époque, de nombreux artistes inscrivent l’urgence climatique dans leurs textes et leurs actions.
On pense par exemple au titre «SOS Mother Nature» du chanteur Will.I.Am (ex. Black Eyed Peas) ou encore aux engagements pris par Radiohead pour leur tournée en 2007 (transport du matériel par bateau entre l’Angleterre et les États-Unis notamment, suite à la réalisation d’un bilan carbone de leur précédente tournée).
Aussi, quand on connaît le potentiel d’un groupe comme Coldplay pour faire passer des messages avec des millions de fans qui les suivent partout dans le monde, il est rassurant de les voir à l’œuvre.
La genèse de cette tournée éco-conçue
C’est en 2019 que Coldplay a annoncé ne pas vouloir repartir sur la route des concerts tant qu’il n’aurait pas éco-conçu sa prochaine tournée. La prise de conscience que toute activité humaine contribue à l’impact environnemental engage tout un chacun, même les rock stars.
Aussi, pour s’atteler à cette tâche, le groupe aux millions d’albums vendus, a commencé par faire appel à des scientifiques de l’Imperial College of London afin de déterminer l’impact d’une tournée, l’impact des mesures vertueuses déjà engagées et de celles à déployer ou à imaginer pour réduire son empreinte carbone.
Partir de l’existant avec un recul critique et expert est un très bon point de départ, que toute entreprise doit envisager pour initier une trajectoire RSE de progrès et les mesures qui l’accompagneront.
«A very exciting part of this whole project is the research and development of solutions. It has given us an opportunity to take ideas or concepts and refine them into something transformative (…)»
Luke Howell, responsable de la durabilité de Coldplay, à propos de la recherche et de la conception de moyens pour réduire l’impact environnemental de l’actuelle tournée de Coldplay «Music of the Spheres».
C’est exactement ce qu’a fait Coldplay en confiant l’évaluation de sa tournée 2016-2017 «A Head Full of Dreams Tour» à Luke Howell, fondateur et directeur de Hope Solutions, un acteur du secteur des arts et du spectacle spécialisé dans les solutions de durabilité et partie prenante dans ce projet.
La volonté de «faire partie de la solution» en incarnant un leadership responsable
Nous autres communicants avons bien compris la puissance du narratif et l’effet d’entraînement collectif qu’il génère. Nous sommes conscients qu’il est aujourd’hui nécessaire d’imaginer de nouveaux récits afin de faire advenir le nécessaire changement de paradigme permettant l’émergence d’une transition sociétale vers de nouveaux modèles qu’ils soient énergétiques, de consommation ou d’usages. C’est dans cette tendance que je perçois la démarche de Coldplay.
En effet, au-delà de l’engagement du groupe à adopter des pratiques plus vertueuses pour sa tournée, c’est aussi une volonté qu’exprimait son leader Chris Martin en 2021 à propos de la démarche: «Jouer en direct et créer des liens avec les gens est la raison pour laquelle nous existons en tant que groupe. (…) En même temps, nous sommes très conscients que la planète est confrontée à une crise climatique. Nous avons donc passé les deux dernières années à consulter des experts de l’environnement pour rendre cette tournée aussi durable que possible et, tout aussi important, pour exploiter le potentiel de la tournée pour faire avancer les choses. »
«Music of the Sphères» : une tournée différente de A à Z
Le groupe s’est donné pour objectif de réduire de 50% les émissions directes de gaz à effet de serre par rapport à sa précédente tournée en 2016/17. Pour cela, il s’est fixé 3 axes de travail:
- réduire ses émissions
- réinventer la façon de «tourner»
- restaurer par le financement de projets à impact
C’est donc sur cette base qu’a été conçu le concert auquel j’ai pu assister. Je vous raconte…
Avant même ma venue à Zurich, des messages ciblés pour promouvoir la mobilité douce et «bas carbone» (transports en commun, vélo, véhicules électriques, covoiturage) ont largement été diffusés par les organisateurs – sans compter l’accès gratuit aux transports publics zurichois grâce au billet de concert.
Le support des autorités locales dans le projet démontre que les success stories s’écrivent toujours dans un collectif de parties prenantes.
Ensuite, à notre arrivée au Stade du Letzigrund, des écrans géants indiquaient que nous pouvions contribuer à produire l’énergie nécessaire au show en dansant sur un dancefloor cinétique, ou encore en pédalant sur les «power bikes» mis à disposition. L’énergie produite par les fans est stockée dans des batteries mises au point en partenariat avec BMW. Une belle entrée en matière et une façon ludique d’intégrer le public dans la démarche.
La part de l’énergie consommée lors des concerts ou pour transporter les équipes et le matériel lors d’une tournée est importante. Aussi, Coldplay a eu recours à des panneaux photovoltaïques placés derrière la scène pour produire de l’électricité.
Par ailleurs, l’utilisation sur scène d’écrans et d’éclairages relevant des technologies LED les plus performantes et les plus économes en énergie ont permis de réduire la consommation d’électricité de près de 50% par rapport à la précédente tournée.
Pour les transports de longue distance en bus, en camion ou en avion, le groupe a fait appel aux carburants de transition de type HVO (Hydrotreated Vegetable Oil pour les véhicules) ou SAF (Sustainable Aviation Fuel pour les avions) qui sont issus du recyclage d’huiles de cuisson usagées et dont les émissions de CO2 sont réduites de 80% en moyenne.
Le projet a également été conçu pour réduire l’impact des ressources: mise à disposition de points d’eau que les spectateurs peuvent utiliser pour remplir leurs gourdes, approvisionnement local pour l’offre alimentaire incluant des menus végétariens et un compostage des déchets partout où cela est possible.
Enfin, le groupe s’est engagé à reverser 10% de ses gains (tournée, albums, publications) à des fonds engagés pour des causes sociales ou environnementales, comme la reforestation, le développement des énergies renouvelables et des technologies de captation du carbone, la protection des océans, la préservation de la biodiversité, de la faune et des sols vivants.
Vous retrouverez ces démarches inédites ainsi que les nombreuses autres actions entreprises sur leur site dédié, dont la vertu pédagogique est indéniable.
Faire bouger les lignes, c’est essentiel!
Au-delà de ces engagements concrets, le groupe souhaite faire preuve de transparence en partageant cette expérience dans l’industrie musicale, une très belle façon d’aider d’autres à progresser à leur tour! Pour le groupe Coldplay (et d’autres à leur suite), ces données serviront de références pour de prochaines tournées.
Cette expérience de début d’été m’a véritablement enthousiasmée et a renforcé mon souhait de faire bouger les lignes… Les Cassandres trouveront toujours à redire (pas assez de ci ou trop de cela…) mais se tromper signifie qu’on a essayé. L’essentiel est donc d’avancer, en progressant.
Et ce que je retiens aujourd’hui, c’est que Coldplay est un groupe qui assume de faire évoluer les pratiques dans son secteur. Au-delà de ces éléments de durabilité qui m’ont interpellée, ce fut un concert vibrant, coloré et teinté d’une puissance magnétique. Une expérience sensorielle unique.
Nous avons tous besoin de cette énergie communicative et créatrice, «pour retrousser nos manches» et continuer d’avancer… L’actualité des records de chaleurs estivales et des méga-feux partout dans le monde nous le rappelle: il y a urgence à agir!
Tribune de Laurence De Cecco pour Bilan, publiée le 15 août 2023.
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