Opinions pour Bilan

Qui est donc le CSO… Le Chief Sustainability Officer – Responsable du développement durable (ou responsable RSE) – est devenu en quelques années un poste clé au sein des entreprises. Cette fonction relativement récente – une vingtaine d’années tout au plus – n’a pas un périmètre d’action parfaitement homogène au sein des organisations.

« Pour cela, il est incontournable de s’inspirer des bonnes pratiques et de les partager, et même de se coordonner… avec ses concurrents ! »

En effet, parce que les sujets de durabilité sont très transverses (dialogue avec les parties prenantes, conformité réglementaire, innovation, R&D, social, environnement, etc.), cette fonction s’est progressivement créée une place centrale, souvent proche des instances décisionnelles et organisationnelles de l’entreprise. Une étude qualitative – datée d’octobre 2023 – de l’équipe de recherche du Centre Leonardo de l’Imperial College Business School, à Londres, en partenariat avec Emeritus, doublée d’une analyse provenant de la base de données du Global Organizational Learning and Development Network (GOLDEN), a mis en évidence la manière dont le rôle de CSO évolue pour façonner les stratégies d’entreprise vers plus de soutenabilité et d’impact.

Sur cette base très riche et sur celle de mon expérience de conseil aux entreprises sur ces thématiques, je vais essayer de vous dessiner un profil type de cette fonction.

Le CSO est une fonction « horizontale » et transformative

La durabilité implique avant tout d’adopter une approche différente dans l’exercice de chaque métier. Par conséquent, cela demande au CSO, et à son équipe, un travail collaboratif avec de nombreuses directions au sein de l’entreprise (RH, finance, légal, achats, logistique, communication, etc.). De même, si l’entreprise possède des sites à plusieurs emplacements géographiques et différentes filiales, le CSO doit veiller à identifier les référents qui veilleront à la bonne compréhension des enjeux et intégration de ceux-ci dans les processus de décision. Au-delà de l’entreprise, il est également nécessaire pour le CSO de coopérer avec l’écosystème en place afin d’obtenir des résultats impactants. De ce fait, le CSO, en collaboration avec les parties prenantes externes – notamment les fournisseurs, les communautés, les ONG entre autres -, oriente la chaîne de valeur de l’entreprise vers l’innovation et les changements systémiques nécessaires.

LE CSO a besoin d’alliés pour démultiplier son action

Comme évoqué plus haut, il s’agit bien d’opérer la transformation de façon transverse. Les répondants de l’étude du Centre Leonardo l’évoquent d’ailleurs : lorsque les personnes comprennent bien les enjeux et sont formés, l’efficacité liée à la mise en place de la stratégie de durabilité augmente. Le département des RH est donc un précieux allié pour former chacun aux enjeux de gouvernance et d’éthique, ainsi qu’aux enjeux métiers et de RSE, y compris dans les plus hautes instances de l’entreprise.

Un autre allié interne essentiel à la fonction CSO est le département de la communication. En effet, pour qu’émerge l’adhésion, il faut que les objectifs, les points d’étapes, les progrès et les succès atteints soient compris, partagés et valorisés tant en interne qu’à l’extérieur de l’entreprise. Les récits fédérateurs entourant les initiatives de durabilité peuvent également stimuler un engagement collectif unifié dans une même direction. Cette collaboration est importante car le CSO sait qu’il faut éviter de se placer dans une posture de « donneur de leçon » dont l’effet serait contreproductif !

Le CSO a besoin de points de comparaison et d’expertise extérieure

Connaissez-vous des métiers qui ne comparent pas les pratiques de leurs concurrents et qui ne font appel à aucun expert ? Aucune, bien sûr ! Pour le CSO, peut-être plus que pour d’autres fonctions, se comparer à ses pairs est essentiel ! L’échange entre pairs est même pratique courante. J’y vois deux raisons : premièrement, cette fonction nouvelle doit avancer en développant ses propres repères et méthodes – autant se conforter auprès de ses pairs donc – et, secondement, pour que son action soit efficace, le CSO et son équipe ont besoin de pousser la transformation sectorielle. Pour cela, il est incontournable de s’inspirer des bonnes pratiques et de les partager, et même de se coordonner… avec ses concurrents ! Lors des entretiens menés par l’Imperial College Business School, les CSO ont même évoqué que le droit de la concurrence pourrait être un frein aux évolutions sectorielles.

Par ailleurs, pour de nombreux sujets plus techniques, comme le dialogue avec les parties prenantes, la matérialité, le bilan carbone, l’analyse de cycle de vie, ou encore le reporting extra-financier, mieux vaut faire appel à des entreprises expertes et dotées de compétences et d’outils adaptés.

Le CSO n’est pas seulement garant de la conformité

Il est vrai que le nombre de règlementations en matière extra-financière a augmenté ces dernières années et c’est bien normal que le législateur s’empare de ce sujet pour garantir les trajectoires de réduction d’émissions de gaz à effet de serre prévues par l’Accord de Paris. Les choses s’accélèrent même en Europe avec l’arrivée de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) qui est entrée en vigueur en 2024 et concernera un nombre grandissant d’entreprises au fil des prochaines années. Si les acteurs concernés ne remettent pas en question le bien-fondé de cette pression réglementaire, les interrogés de l’étude du Centre Leonardo évoquent quand même le temps et les ressources importantes qui seront à consacrer pour répondre aux exigences du législateur. L’énergie vouée à se mettre en conformité ne l’est donc plus ni pour l’innovation, ni pour la rétention des talents… C’est devenu un sujet de fortes inquiétudes et le CSO aura donc besoin de s’entourer de compétences pour collecter les données extra financières, formaliser des indicateurs et les suivre, mesurer les progrès, communiquer auprès des agences de notation et s’occuper du rapport de durabilité.

Le CSO et l’implémentation d’une stratégie de durabilité créent de la valeur ajoutée

La fonction CSO ne se résume pas à une simple mise en conformité ! En effet, le CSO et l’implémentation d’une stratégie de durabilité au sein de l’entreprise peuvent – et doivent même – apporter de la valeur à l’entreprise et à ses parties prenantes. Pour cela, il est encore une fois indispensable de collaborer de façon transversale. En liant impact et performance économique de l’entreprise, on pourra revoir en profondeur la stratégie commerciale, revoir la façon de concevoir les produits, intégrer une dimension servicielle (et donc non matérielle) plus importante pour optimiser l’usage des biens commercialisés. C’est une vision qui repose sur l’innovation et l’audace, dont le spectre s’étend du recrutement de nouveaux talents jusqu’à la refonte du modèle d’affaires vers plus de circularité.

Enfin, le CSO qui avance et réussit dans son action a une botte secrète

La gouvernance est la botte secrète d’un CSO qui réussit dans son action. Toute bonne stratégie nécessite que les parties prenantes décisionnelles de l’entreprise (Conseil d’administration, CEO, Direction générale, Comité exécutif) soient associées et impliquées, tout en soutenant la démarche avec conviction. L’étude du Centre Leonardo relate d’ailleurs que plus de la moitié des CSO rendent compte directement au Conseil d’administration ou au CEO de l’entreprise. 90% des répondants disposaient même de conseils ou de comités spécifiques dédiés à la durabilité.

C’est en effet le point le plus décisif pour que la stratégie responsable de l’entreprise puisse se déployer partout et ne fasse finalement plus qu’un avec la stratégie globale et bénéficie donc des investissements et des ressources nécessaires à sa bonne mise en œuvre.

Vous l’aurez bien compris, le rôle du CSO est hautement stratégique car il doit concilier croissance économique, responsabilité sociale et protection de l’environnement, afin d’assurer la viabilité future de l’entreprise tout en répondant aux attentes des parties prenantes. Leader visionnaire, bon communiquant, convaincant, déterminé, empathique, éthique, il s’agit d’un vrai chef d’orchestre toujours à l’écoute qui doit également embarquer tous les talents en interne comme en externe autour des objectifs de durabilité.

Si vous vous reconnaissez, je suis certaine que de nombreuses entreprises sont à la recherche de perles rares !

Compétences requises du CSO

Leadership visionnaire : Capacité à inspirer et à mobiliser autour d’une vision durable à long terme, en intégrant les objectifs de développement durable dans la stratégie globale de l’entreprise.

Réflexion stratégique : Capacité à comprendre comment la durabilité s’intègre dans le contexte commercial plus large et à identifier les opportunités de création de valeur durable.

Communication efficace : Aptitude à communiquer des concepts complexes de durabilité à des publics variés, en interne comme en externe, pour favoriser l’engagement et la compréhension.

Gestion du changement : Aptitude à gérer et à piloter le changement organisationnel vers des pratiques plus durables, en surmontant la résistance et en favorisant une culture d’innovation et de responsabilité.

Empathie et intelligence émotionnelle : Compréhension et prise en compte des perspectives diverses et des préoccupations des parties prenantes, permettant de construire des relations solides et de favoriser une approche inclusive.

Collaboration et travail d’équipe : Compétence à travailler efficacement en équipe et de manière transversale en collaboration avec de nombreuses instances pour intégrer les pratiques de durabilité dans toutes les fonctions de l’entreprise.

Ethique et intégrité : Engagement fort envers les principes éthiques et la transparence, essentiels pour bâtir la confiance dans les initiatives de durabilité de l’entreprise.

Difficultés rencontrées dans l’exercice de la fonction de CSO

Alignement avec la stratégie d’entreprise : Intégrer efficacement la durabilité dans la stratégie globale d’entreprise peut être difficile, surtout si la vision à long terme de la durabilité n’est pas pleinement soutenue par la direction ou perçue comme en conflit avec les objectifs à court terme de rentabilité.

Rattachement hiérarchique : Dépendre d’un rattachement hiérarchique inapproprié peut entraver la visibilité et la crédibilité de la fonction de CSO au sein de l’organisation. Sans une position de leadership claire et reconnue, il devient difficile de mobiliser autour des initiatives de durabilité, de promouvoir un changement culturel et de s’assurer que les pratiques durables sont adoptées à tous les niveaux de l’entreprise.

Changement culturel : Promouvoir un changement culturel vers plus de durabilité au sein de l’organisation peut rencontrer des résistances et scepticisme. Le soutien actif des instances dirigeantes est crucial pour encourager une adoption généralisée des pratiques durables, changer les mentalités, les processus opérationnels et à surmonter l’inertie organisationnelle.

Budgets et ressources : Obtenir les ressources financières, humaines et technologiques pour mettre en œuvre des initiatives de durabilité ambitieuses peut être difficile, surtout dans les périodes de contraintes financières. La limitation des ressources allouées à la durabilité peut entraver la capacité de l’entreprise à réaliser ses objectifs dans ce domaine.

Tribune de Laurence De Cecco pour Bilan, publiée le 28 mars 2024.
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