Tribune dans Bilan
Lors d’une précédente chronique, nous avions rappelé que l’essence d’une communication responsable est la cohérence entre les engagements concrets de l’entreprise et les messages qu’elle diffuse. Pour les marques, la tentation de franchir la ligne de démarcation entre la réalité et sa version enjolivée ou partielle existe.
Le greenwashing peut simplement se faire par méconnaissance des sujets, ce qui révèle la nécessité de former tous les communicants à cet aspect.
Promesses excessives, absence ou insuffisance d’informations, visuels confus mais aussi faux label, exclusivité trompeuse… en matière d’éco responsabilité cette pratique a un nom: le greenwashing (ou éco blanchiment).
Et s’y adonner peut coûter cher à l’entreprise en termes de réputation et d’image. Heureusement, ONG, consommateurs et instances de régulation de la publicité veillent. Gare à ceux qui n’auraient pas compris que les beaux discours doivent s’appuyer sur des actes concrets!
La publicité aime jouer avec les mots, mais un chat reste un chat
Selon une étude récente du cabinet Forrester, 50 % des consommateurs européens estiment que les marques ont tendance à induire les consommateurs en erreur lorsqu’elles communiquent sur leurs initiatives environnementales. Preuve s’il en est une que les limites du greenwashing n’ont pas encore été pleinement intégrées par tous les concepteurs de messages publicitaires.
Dans son bilan du 3 e trimestre 2020, l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité en France) qualifiait 89,1% des publicités examinées comme conformes aux recommandations en matière de développement durable. Un chiffre positif et en progression mais inférieur au taux de conformité des autres recommandations.
D’ailleurs, bien que ce soit dans leur intérêt, les agences en France ne sollicitent pas systématiquement l’ARPP avant parution d’une publicité. Les annonceurs s’exposent alors à des plaintes et à un avis du Jury de Déontologie Publicitaire (JDP).
Les manquements relevés par le JDP sont de différentes natures avec, en tête, l’usage d’un vocabulaire inapproprié ou disproportionné : mésusage de termes relatifs à une norme, messages qui induisent en erreur, formules globalisantes ou trop floues (ex : utilisation de mots tels qu’écologique, vert, éthique, responsable, durable, ami de la nature, respectueux de la planète, non polluant, qui méritent d’être relativisées et contextualisées avec une terminologie de type plus responsable ou contribuant à …).
Bref, appelons un chat, un chat!
Et en Suisse, que se passe-t-il?
C’est la Commission suisse pour la loyauté (loyauté-en-publicité.ch) qui veille au grain.
Les règles existantes ont pour but de faire respecter les pratiques équitables dans le cadre de la communication commerciale et elles servent ainsi à renforcer la confiance au sein du grand public envers la communication commerciale.
Pour rappel, la communication commerciale au niveau publicitaire doit être licite, véridique, non trompeuse, non discriminatoire et respecter la bonne foi dans les relations commerciales. Voici quelques exemples de pratiques déloyales: Dénigrement, Publicité comparative, Communication commerciale sexuellement discriminatoire, Reproductions visuelles trompeuses de corps ou de formes corporelles, etc.
À relever qu’à ce stade rien de concret n’existe sur le thème du greenwashing en termes de recommandations formelles. En effet, les prescriptions du Code de publicité et communications de la Chambre de commerce internationale (ICC) sont directement invocables dans les procédures de plainte.
Mais le sujet fait certainement partie des réflexions incontournables tant au niveau de la Commission suisse pour la loyauté, de Communication Suisse KS/CS que de l’Alliance des organisations des consommateurs!
La France est donc bien plus avancée dans ce domaine.
Pour écoblanchir son image: montrer l’arbre pour cacher la forêt!
Un cas de figure classique en matière de greenwashing consiste à mettre en valeur des actions, certes vertueuses mais modestes, pour améliorer son image et omettre de parler du reste.
Citons ici l’exemple de la publicité HSBC au Royaume-Uni qui, surfant sur la présence de la COP26 à Glasgow en 2021, avait étalé dans les rues de Bristol et de Londres des affiches vantant la contribution environnementale globale positive en tant qu’entreprise. Une autre campagne valorisait le financement par la Banque de projets participant à la décarbonation, notamment avec le financement de projets de reforestation.
L’Advertising Standards Authority a reçu 45 plaintes qui se sont avérées fondées portant essentiellement sur l’effet largement trompeur de ces annonces alors que la banque accorde des financements à des acteurs du secteur des énergies fossiles.
«C’est la première fois que le régulateur prend une décision contre une banque pour représentation trompeuse de son action sur l’environnement» souligne l’ASA.
Cette pratique avait déjà été reprochée à Total Energies, dénoncée par l’Alliance pour la Planète, avec un avis défavorable du JDP français, pour sa campagne «le vent, une des façons les plus naturelles d’avancer» parue sur les panneaux publicitaires à une époque où les investissements du Groupe dans l’énergie éolienne représentaient 1%… !
Images et symboles ne doivent pas induire en erreur et tromper
Un autre cas d’école classique est la déformation ou l’amplification du message par un usage inapproprié de visuels et même parfois de pseudo-labels.
Cette fois, c’est en Belgique que deux campagnes ont été pointées du doigt par le JEP (Jury d’Éthique Publicitaire). Et l’instance qui avait demandé cet été à Lufthansa de retirer ses publicités a obtenu gain de cause. Cet avion qui se transformait en arbre avec le slogan «When it comes to sustainability, the sky shouldn’t be the limit» était effectivement un visuel abusif.
«Je me suis dit que je ne pouvais pas laisser passer, c’était trop gros, d’autant que ces affiches étaient partout dans les gares en Belgique, un comble! » expliquait Maxime Van De Meerschen, fondateur du label Give Actions pour une publicité positive et auteur de la plainte.
Pourtant, partout les règles déontologiques publicitaires sont simples: l’utilisation abusive d’éléments naturels (arbre, forêt vue du ciel, planète…) pour fixer un message dans l’esprit du consommateur contrevient aux règles fixées par les professionnels de la publicité.
Un jeu dangereux auquel les annonceurs jouent encore, sans nécessairement demander l’avis des instances de régulation, et qui peut provoquer un «bad buzz». Un faux-pas qui peut coûter cher à la réputation d’une marque.
La publicité doit accompagner la transition écologique, pas l’ignorer!
Le greenwashing peut simplement se faire par méconnaissance des sujets, ce qui révèle la nécessité de former tous les communicants à cet aspect. Simultanément, il est essentiel de comprendre qu’il ne peut y avoir de complaisance à l’égard des professionnels.
En France, la loi «climat et résilience» encadre depuis 2022 la communication sur la compensation carbone et les allégations de neutralité dans la publicité: sans bilan sur l’ensemble du cycle de vie du produit réitéré chaque année, plus d’allégation possible!
Une approche qui aurait rendu simplement impossible la récente publicité Swisscom accompagnée de la mention «premier réseau climatiquement neutre de Suisse» sans explication, qui en l’espèce, repose essentiellement sur la compensation carbone.
Or, comme le rappelle l’ADEME – Agence de la transition écologique en France -, user de ces termes (compensation, neutralité, net zéro) détourne les acteurs – entreprises et consommateurs – de la nécessité de réduire les émissions carbones de façon globale.
Une opportunité et un besoin d’évoluer
La publicité – et la communication de manière générale – doit urgemment se transformer et prendre à cœur son rôle de modèle visant à promouvoir les initiatives et les comportements en faveur d’un changement de paradigme.
Non seulement c’est un bénéfice pour tous mais une nécessité absolue pour plus d’éthique, d’authenticité et pour plus de responsabilité!
Tribune de Laurence De Cecco pour Bilan, publiée le 11 novembre 2022.
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